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26 avril 2024
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Que reste-t-il du château monumental qui surplombait Creil au Moyen Âge ? Nicolas Bilot, archéologue au sein du SDAO (Service Départemental d’Archéologie de l’Oise) et fondateur du cabinet Aquilon, spécialisé dans les études et la valorisation du patrimoine, nous fait découvrir les vestiges de ce passé rayonnant mais méconnu des Creilloises et Creillois.
Creil : une ville stratégique et royale
Aussi étonnant que cela puisse paraître, il y avait bien un grand château médiéval à Creil, sur l’Île Saint-Maurice. Il s’élevait à la place de la mairie et du musée Gallé-Juillet, qui regroupe à la fois la maison de cette famille creilloise mais également la maison de la Faïence. Nicolas Bilot estime aujourd’hui qu’il était à l’image du château de Pierrefonds construit quelques décennies plus tard.
Au Moyen Âge, cet emplacement était stratégique pour plusieurs raisons : « Le premier enjeu est qu’il contrôle l’Oise, dans une période où l’essentiel du transport de marchandises va se faire par cours d’eau. » nous explique l’archéologue. « Il connecte à Rouen et relie à Paris via la Seine, ce qui signifie que Creil devient un arrière port de la capitale. » Un enjeu de taille pour l’approvisionnement en nourriture : « L’Oise est un territoire céréalier avec de gros rendements, et Paris étant un ventre gigantesque, elle fait partie du grenier à blé de Paris. Il y a donc un enjeu économique autour de cette ville de Creil et de son château. »
Cette Île Saint-Maurice a également un enjeu défensif : « Si on contrôle l’île, on maîtrise la navigation sur l’Oise », explique Nicolas Bilot. L’emplacement idéal pour contrer les invasions venues du Nord, souvent anglaises dans cette période.
À quoi ressemblait ce château médiéval ?
C’est au 12ème siècle que les comtes de Clermont vont commander le premier château de Creil. La ville de Clermont s’est grandement enrichie grâce aux routes commerciales pour Beauvais, Soissons, Arras… Afin de garder la main sur le commerce et les passages, ils ont décidé de construire un château au bord de l’Oise.
Pour la construction, les comtes prennent directement des pierres en calcaire de Creil : « Il n’y a pas que la carrière de Saint-Maximin, affirme Nicolas Bilot, Creil a eu pendant longtemps une activité de carrier. » L’archéologue insiste ensuite sur les deux spécificités de ces pierres : « Les calcaires de l’Oise sont parmi les meilleurs calcaires du monde. » À l’intérieur, il y a aussi du « calcaire veiné, avec une teinte de rose naturelle. Ce sont des pierres d’une qualité esthétique rare. »
Le château gagne encore en importance quand le comté de Clermont est rattaché à la couronne de France au 13ème siècle. Nicolas Bilot affirme que les rois « vont garder le château de Creil pour eux parce qu’ils vont considérer que c’est un château stratégique mais aussi symbolique ».
C’est au 14ème siècle que Charles V va particulièrement s’intéresser au château de Creil et va y apporter ses touches personnelles. « On l’appelle le Sage parce que c’était un vrai roi travailleur. » Également bâtisseur du château de Vincennes, l’archéologue note beaucoup de similarités entre ces deux châteaux royaux.
« Quand Charles V va reprendre le site, il va faire rajouter des étages et rajouter des tours carrées. D’ailleurs on voit les différences de construction, les blocs sont plus beaux et plus grands sur les rajouts royaux. » Comme le souligne Nicolas Bilot, le roi avait besoin d’espace quand il venait à Creil avec sa cour, composée de plus de 300 personnes.
Que reste-t-il aujourd’hui de ce château royal ?
Aujourd’hui, il ne reste que 10% de ce château médiéval, concentré entre la tour de la maison de la Faïence (où se trouvaient potentiellement les appartements de la reine selon Nicolas Bilot), le rez-de-chaussée de la maison des Gallé-Juillet, le cellier situé au rez-de-chaussée du château, visible depuis la place de la mairie, et l’étage au-dessus du cellier.
Bien qu’extrêmement stratégique au Moyen Âge, le château désintéresse progressivement ses seigneurs dès la fin du 17ème siècle qui lui préfère le château de Chantilly.
Le château de Creil est alors loué puis vendu à des carriers, comme nous l’explique Nicolas Bilot : « Ce qui va les intéresser c’est de démonter les murs et de vendre les pierres. Ils vont commencer par le haut : ils démontent les charpentes, ils vendent les bois, après ils démontent le deuxième étage, le premier étage. »
Cependant, la Révolution arrive et les carriers sont chassés du château avant qu’ils n’aient pu démonter le reste. Une chance pour l’archéologue qui a fouillé dès 2019 le cellier qui servait d’espace de stockage. À l’étage, bien qu’il a été beaucoup modifié par les nombreux propriétaires, on distingue encore quelques éléments de la grande salle où le roi recevait ses hôtes.
Après la Révolution, les propriétaires vont aménager le château à leur style en y ajoutant des étages, des terrasses, des salles d’eau… L’actuel Musée Gallé-Juillet, qui comprend une belle maison bourgeoise du 19ème siècle, conserve des traces bien réelles du château, comme nous l’indique Nicolas Bilot : « Ils vont utiliser le château pour poser leur maison dessus et faire des salles basses leur cave et leur cuisine. »
Les jardins ont également leur importance : « Le château a toujours eu un jardin mais on ne sait rien de celui du Moyen Âge », confie l’archéologue. « Le jardin actuel est celui des Gallé-Juillet. » Entouré d’un mur construit avec les anciennes pierres du château, quelque chose d’insolite s’y trouve : une motte castrale miniature : « On pense que la tour au milieu du jardin est la tour d’escalier de l’entrée du château. » Les pierres rondes étant difficilement vendables, les propriétaires vont la transformer en halte de promenade. De plus, elle est entourée d’anciens sarcophages mérovingiens qui servent de décoration à cet endroit surprenant.
Quand et comment peut-on le visiter ?
Le jardin, le musée des Gallé-Juillet et celui de Faïence sont visitables tout au long de l’année. Vous y découvrirez la vie d’une famille bourgeoise de la Révolution à la Première Guerre mondiale, où ils lèguent leur maison à la ville de Creil suite au décès sur le front de leur fils unique. Le musée de la Faïence vous fascinera avec sa collection d’environ 15 000 œuvres et d’objets en faïence de toute sorte.
Concernant le château, c’est le cellier et le premier étage qui intéressent aujourd’hui les archéologues et la directrice du musée, Marion Kalt : « Le cellier fait l’objet d’une fouille depuis septembre 2023. On enlève le remblai causé par les carriers du 18ème siècle pour redescendre au niveau d’origine (1,50m plus bas), et supprimer les faux murs pour restituer le volume d’origine. »
Le musée et le château communiqueront pour permettre aux visiteurs une immersion totale dans le passé de Creil, de l’époque gallo-romaine avec le trésor de l’écluse au vestige du château médiéval, sans oublier l’ère industrielle avec la faïencerie et la maison des Gallé-Juillet.
Le chantier de restauration a débuté en septembre 2023 pour une durée d’environ 3 ans. Si votre curiosité ne peut attendre ce délai, contactez la mairie pour demander des visites de chantier afin d’en savoir plus sur le château, mais également découvrir les coulisses d’une fouille archéologique.
Diane Maat – Com’Positiv
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