Le crash d’un bombardier allié le 6 septembre 1943 au-dessus de son village d’Airion alors qu’il n’avait que 13 ans a été décisif dans la vie de Gérard Lequien. Pendant quatre-vingts ans, il a enchaîné les recherches, contacté aviateurs et familles, amassé débris, objets et documents liés à une partie des 500 avions militaires tombés entre 1940 et 1945 dans l’Oise. Il a offert tous ses trésors à la ville de Saint-Maximin qui a ouvert en 2016 un musée des Bombardements dont il est le passionnant guide.

Gérard Lequien, collectionneur à l’origine du Musée des Bombardements à Saint-Maximin, nous a accueilli pour nous parler de sa superbe collection.

Un avion se crashe en 1973

Que ce soit un morceau de métal, un uniforme, une médaille, un jerrican ou un document, il connaît tout de leur histoire. À quel avion ou à quel militaire ils appartenaient, où et quand il les a dénichés. Gérard Lequien est le gardien de la mémoire des heures sombres de la guerre aérienne dans le ciel de l’Oise entre 1940 et 1945.

« Cette passion remonte au 6 septembre 1943, explique ce souriant moustachu de 93 ans. Depuis des semaines, quotidiennement des centaines de bombardiers alliés passaient au-dessus d’Airion où je suis né près de Clermont. Et ce jour-là j’ai compris que l’un d’entre eux était en difficulté quand j’ai vu deux parachutes s’ouvrir. L’information ne circulait pas comme aujourd’hui, et après quelques jours j’ai su qu’il s’était écrasé au Bois des Moines, à l’est du village. J’y suis allé avec des copains, mais on a été refoulés car le site était gardé par l’armée allemande. Quand j’y suis retourné bien plus tard, j’ai trouvé en fouillant divers morceaux de l’avion qui n’avaient pas été récupérés pour être refondus. » Le virus était inoculé, la curiosité allait l’emporter.

« J’ai appris que ce B17 de la 8e Air Force américaine, un bombardier lourd quadrimoteur de 10 places baptisé le « Lucky Thirteen », revenait de Stuttgart en Allemagne après une opération de pilonnage, et que si 7 membres d’équipage avaient été capturés par les Allemands, 3 autres avaient été pris en charge par la résistance. » Cependant, en savoir davantage sur ce B17 n’était pas suffisant, et pendant des décennies Gérard Lequien s’est intéressé à plus d’une soixantaine d’autres avions abattus durant cette période dans le département.

La bombe V1 était assemblée dans une carrière souterraine à Saint-Leu-d'Esserent

Mille et un métiers

Mais avant de sacrifier son temps à cette activité, il fallait travailler. « Mes parents étaient agriculteurs, ils géraient 300 ha. Donc dès que j’ai décroché le « certif’ », je les ai rejoints. Sept ans après, je suis parti faire mon service militaire à Berlin dans le 11e régiment de blindés. Après les tracteurs, conduire un char ne m’impressionnait pas… Nous étions 400 jeunes Français, et dès le premier jour le capitaine a voulu me voir : comme j’étais le seul à avoir tous les permis, il a demandé que je sois son chauffeur pendant deux ans. J’allais le chercher le matin dans une Opel Kapitan toute neuve, et l’après-midi je conduisais sa femme dans les magasins. J’ai même gardé leur chien ! »

Démobilisé en 1953, le jeune homme décide d’oublier l’agriculture. Comme chauffeur pour une usine chimique de Catenoy il commence par transporter de l’éther, de l’alcool et d’autres produits à 300 clients de Lille à Paris. Puis, le hasard l’amène à entrer au centre hospitalier interdépartemental de Fitz-James pour devenir infirmier en psychiatrie : il y restera 32 ans ! « Il abritait à l’époque 4 300 malades répartis dans 17 services, rappelle-t-il. Dans l’unité des malades difficiles, j’ai créé des ateliers d’ergothérapie avec des activités professionnelles, et j’ai mis sur pied des séjours en camping dans la forêt de Hez pour sortir les malades de l’établissement, c’était novateur. »

Une passion, dès 1960

Quant à ses loisirs, dès 1960 ils sont exclusivement consacrés à ses recherches sur les crashs d’avions après avoir découvert que son père et son grand frère étaient résistants : « Ils ont participé au premier parachutage d’armes dans l’Oise à Airion ».

En contact avec les familles des aviateurs

Infatigable bourlingueur, Gérard Lequien fait des recoupements d’informations, se rend sur des sites, et l’on commence à parler de lui. « En mai 2006, j’ai reçu un appel d’Angleterre : un collectionneur avait appris mon activité par un article de presse. Il avait appartenu à un groupe d’anciens militaires qui planchaient sur l’histoire du B17 d’Airion, mais ils n’arrivaient pas à localiser le lieu exact du crash.»

En mission pour le devoir de mémoire, Gérard Lequien élargit son action à partir de 1970 en contactant des familles aux USA « sans parler anglais », s’amuse-t-il. Au fil des années, son garage se remplit de centaines d’objets se rapportant à la Seconde Guerre mondiale. Jusqu’à une Jeep et un Dodge ambulance ! « Pendant 11 ans j’ai programmé en Normandie des rassemblements de véhicules militaires anciens, révèle-t-il. J’ai collaboré à la rédaction d’ouvrages comme celui sur les 500 avions tombés dans l’Oise, j’ai fait la connaissance de membres d’équipages et de familles que j’ai  emmenés sur les sites des crashs. Je leur donnais des morceaux d’avions quand ils repartaient. Je suis même allé en Pologne rencontrer des militaires. »

Exposer sa collection

Toutefois, le collectionneur compulsif qui lutte inlassablement contre l’oubli s’inquiète pour l’avenir de ses trouvailles et la pérennité de ses années d’enquêtes. « Mes deux filles ne nourrissent pas la même passion que moi, comprend-il. Alors j’ai contacté une dizaine de communes où des avions s’étaient écrasés, mais sans retour. » En 2014, il est averti que la Maison de la Pierre de Saint-Maximin, ville rasée à 95 % en 1944, a ouvert une salle dédiée aux bombardements pendant la guerre. Sur place, il explique son souhait que soit conservé tout ce qu’il a amassé. « Deux jours plus tard, la mairie m’invitait à investir un local communal inutilisé », se souvient-il.

Et le musée est né !

« Quand Gérard s’est manifesté, nous sommes allés chez lui pour voir ce dont il disposait. On était effarés par la quantité d’objets : trois camions ont été nécessaires pour vider son garage ! », évoque Daniel Derniame, élu de Saint-Maximin qui deviendra président de l’association Musée des Bombardements aussitôt constituée. Tout est alors placé dans les deux salles au sous-sol d’un bâtiment de 1883 qui a servi d’abri pendant la guerre : l’ordinaire du soldat côtoie le quotidien du civil. Les lieux sont rendus accessibles au public en décembre 2016. « J’expose des réservoirs de carburant d’avions que gamins nous transformions en barque ou encore des pièces métalliques en étoile qu’on me faisait forger et dont j’ignorais qu’elles étaient destinées à crever les pneus des véhicules allemands », se remémore Gérard Lequien qui répertoriait les débris d’avions dans des jerricans coupés.

Des bénévoles assurent les visites du Musée

Afin d’assurer le fonctionnement du musée, l’association compte sur une trentaine de bénévoles. La visite se décline en divers espaces, la résistance, les Américains, les Anglais, les Allemands, Saint-Maximin et même la Grande Guerre de 14-18 grâce à des dons de particuliers. « Nous avons déposé un dossier pour qu’un monte-charge permette aux personnes à mobilité réduite de parvenir au sous-sol, confie Daniel Derniame. Ce serait subventionné par la ville et des fonds européens. Parallèlement nous modifierons la mise en scène avec une nouvelle présentation et un éclairage plus adapté. » De quoi viser un millier de visiteurs par an.

« Je suis rassuré que tout ce que j’ai recueilli dans ma vie soit mis à la disposition du public, conclut Gérard Lequien dont la jovialité n’a d’égale que la modestie. Car un Américain m’a proposé un jour de m’acheter toutes mes pièces, mais j’ai refusé. » Heureusement pour l’enrichissement de notre mémoire collective.

Frédéric NouryFredCom


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Accès

Fermé

Musée des Bombardements
Quartier de l’Economat
60740 SAINT-MAXIMIN

+33 3 44 61 18 40

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Mercredi Ouvert de 14h à 18h
Jeudi Fermé
Vendredi Fermé
Samedi Ouvert de 14h à 18h
Dimanche Ouvert de 14h à 18h

Tarifs

Tarif adulte 3,50 €
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